Surface


La photographie imprime une surface : il est fascinant de penser que rien n’est plus plat, en art, qu’une photographie. La seule image qui puisse rivaliser avec elle dans la mise à plat, c’est le texte : texte ou photographie, juste des bouts de papier. Toutefois le texte n’est image (et mise à plat) que secondairement. Un tableau a au moins la profondeur de la couche de peinture ; cela lui donne une épaisseur matérielle que l’art contemporain a d’ailleurs souvent cherché à souligner. Même le cinéma a une épaisseur que n’a pas la photographie : celle du temps de la narration – le temps n’est-il pas une matière ?

La photographie, c’est la mise à plat par excellence. Est-ce de là que vient la fascination qu’elle exerce ? Une photographie attrape immédiatement le regard et le retient sans effort. C’est vraiment l’autre côté du miroir : en face d’elle, il y a eu – il y a – tout un monde de matières mouvantes ; sur la surface en papier de la photographie, il n’y a plus que l’empreinte de lumière et d’ombre laissée par ces matières mouvantes. C’est presque à une disparition de la matière qu’on assiste – et en même temps, paradoxalement, à la preuve de son existence, ou au moins de son existence passée.

Bien sûr, « mise à plat » ou « superficialité » ne sauraient être ici des notions négatives : ce plat de la photographie contient toutes les profondeurs du monde (profondeur de champ), il contient aussi la profondeur de la rêverie qu’elle suscite.

Après l’explosion à Hiroshima, un photographe japonais, Eiichi Matsumoto, a pris la photo d’une porte sur laquelle s’était imprimée l’ombre d’un corps humain et d’une échelle, tous les deux désintégrés par la bombe, dématérialisés. (Cette photo est actuellement visible à la très belle exposition « L’ombre de la guerre » à la Maison européenne de la photographie, à Paris). Image de la photographie ultime, image de la fascination que la photographie exerce : la matière s’est transformée en ombre, le corps humain est devenu une surface imprimée, la mort est mise à plat, rendue visible. 


 Photo Eiichi Matsumoto

1 commentaire:

  1. Saisissant . Tellement c'est fort, je ne trouve pas de mots.
    Le frisson et le silence.

    M. B. Ruel

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